Son élection à la tête du principal parti d’opposition ivoirien avait suscité l’espoir d’un retour au pouvoir. Mais aujourd’hui, des militants et cadres questionnent publiquement la stratégie et les orientations politiques de Tidjane Thiam, candidat inéligible à la prochaine présidentielle.

La porte a claqué bruyamment. Si jusqu’à présent les critiques autour de la présidence de Tidjane Thiam faisaient l’objet de discussions à bas bruit au sein même du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), elles s’expriment désormais ouvertement. En fin de semaine dernière, Maurice Kakou Guikahué, figure historique et personnalité aussi discrète que respectée, a démissionné de son poste de conseiller politique de Tidjane Thiam. Une décision qui a surpris et parfois ému dans les rangs du premier parti d’opposition, plongé en pleine crise à quelques mois de la présidentielle d’octobre.

Maurice Kakou Guikahué explique dans un texte court renoncer à « [s]accommoder avec les méthodes actuelles de gouvernance » du PDCI. Et de citer « la tenue du 9e congrès extraordinaire du14 mai 2025 » organisé « sans président ni bureau du congrès » – qui a abouti àla réélection de Tidjane Thiam, démissionnaire deux jours plus tôt de son poste de président. Il était l’unique candidat à ce scrutin qui avait pris tout le monde de court dans un parti presque octogénaire, où l’organisation de tout événement passe habituellement par la mise en place d’une kyrielle de comités. 

Maurice Kakou Guikahoué « tenu à l’écart» ? 

Cette démission, Maurice Kakou Guikahué affirme l’avoir découverte dans la presse « comme tout militant de base ». Impossible dès lors pour ce symbole de l’ère Henri Konan Bédié[président du parti pendant trois décennies, décédé en août 2023] de rester à ce poste dans lequel il était tenu à l’écart des « décisions majeures » écrit-il. Une raison de plus pour l’ancien secrétaire général en chef du parti, écarté par Thiam après son élection avant d’être rappelé auprès de lui en janvier dernier, de jeter l’éponge.  Et il n’est pas le seul à contester ainsi les méthodes du président du PDCI et à questionner publiquement sa stratégie. Ces dernières semaines, plusieurs militants et cadres du parti ont pris la parole dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour faire part de leur incompréhension face à la situation de la formation politique.

À cinq mois du scrutin présidentiel, l’ancien parti unique fondé par Félix Houphouët-Boigny en 1946 se retrouve pour l’heure sans candidat. Tidjane Thiam, ancien directeur général de Credit Suisse, 62 ans, élu triomphalement président du PDCI en décembre 2023 en se présentant comme un rassembleur et dont l’arrivée à la tête du parti avait suscité un immense espoir d’un retour au pouvoir, a été radié de la liste électorale le 22 avril dernier du fait de son ex-binationalité franco-ivoirienne.

« Je ressens un ras-le-bol »

Une décision judiciaire qui le rend inéligible et qu’il dénonce depuis comme « une manoeuvre du pouvoir » pour l’écarter de la course. Il se retrouve par ailleurs menacé de destitution de la présidence du parti par une procédure judiciaire intentée par Valérie Yapo, une cadre du parti. Le jugement est attendu le 22 mai. « Pourquoi démissionner et se faire réélire avant cette décision de justice ? Que se passera-t-il si la justice tranche en faveur de Mme Yapo ? C’est incompréhensible, personne n’y voit clair dans sa stratégie », tonne un membre du bureau politique.

« Je n’ai rien contre M. Thiam, mais je ressens un ras-le-bol, cela vient du coeur. Depuis la disparition du président Bédié, mon parti est en train de s’écrouler », déplore pour sa part Charles Tchétché, délégué départemental de Gagnoa 5. « Quand tu veux être le patron d’un grand parti et le président d’un pays, tu te prépares longtemps à l’avance, dix ans à l’avance peut-être ! Il aurait dû se débarrasser de sa nationalité française bien avant. Il est venu sans tenir compte des textes »,poursuit ce membre du bureau politique encarté au PDCI depuis 1984 et soutien affiché de Guikahué.

Comme un certain nombre d’autres membres du parti interrogés, il réclame aujourd’hui la tenue d’un nouveau congrès et d’une nouvelle convention afin de désigner un nouveau candidat. « Je ne crois pas aux hommes providentiels. Certes, Tidjane Thiam est un brillant intellectuel, mais est-ce qu’il n’y avait pas d’autres personnes dans le parti pour succéder à Bédié et être notre candidat à l’élection présidentielle ? »,s’interroge-t-il. 

« Majorité silencieuse » 

Tidjane Thiam, ancien ministre du Planet petit-neveu de Félix Houphouët- Boigny, s’était imposé à la tête du parti en décembre 2023 en dépit de son absence du pays pendant deux décennies et la présence d’autres sérieux prétendants au fauteuil tant convoité comme Jean-Marc Yacé, Noël Akossi Bendjo ou Maurice Kakou Guikahué. Grâce au vote d’une résolution stipulant que « le président élu est le candidat du PDCI-RDA à la convention d’investiture pour l’élection présidentielle de 2025″, l’ex-financier avait par ailleurs sécurisé sa place dans la course à la présidentielle. Un boulevard. Seul le député et homme d’affaires Jean-Louis Billon a décidé demain tenir sa candidature.

« L’élection de Thiam a été montée de toutes pièces par les doyens qui géraient le parti pendant la vacance du pouvoir, à la mort de Bédié », est convaincu un membre du parti longtemps membre de ses plus hautes instances. « En vérité, il y a une vraie majorité silencieuse dans le parti, de nombreuses personnalités que vous n’entendrez pas, mais qui n’en pensent pas moins. Beaucoup estiment avoir été trompés. » 

« Le président Thiam représentait vraiment un espoir pour notre parti, mais aussi pour tous les Ivoiriens. Je fais partie de ceux qui y ont cru. Mais nous ne savions pas qu’en venant, il n’avait pas encore renoncé à sa nationalité française et qu’un certain nombre de choses pouvaient le contraindre », explique pour sa part Binger Kouamé, porte-parole d’un collectif de militants de la région du Gbéké qui a dénoncé la tenue précipitée du dernier congrès. « Nous ne pouvons pas cautionner une telle démarche. Elle va à l’encontre des valeurs de dialogue, de consensus et de légalité défendues depuis des décennies par notre parti », écrit ce groupe de militants dans un courrier adressé au préfet de région.

« Je suis un militant depuis deux ou trois ans et je vous l’assure, sur le terrain, la base ne cautionne pas ça »,affirme Binger Kouamé, qui dit être l’objet d’intimidations depuis sa prise de parole publique, mais qui fait aussi face à des accusations de manipulation. «Je suis assez responsable pour prendre une décision par moi-même sans être manipulé. Quand ça les arrange, ils nous décrivent comme des militants engagés mais quand ça ne les arrange pas, ils parlent de militants manipulés »,soupire-t-il.

Critiques « marginales »

Autour de Tidjane Thiam, ces prises de position et ces critiques sont considérées comme marginales. Les mobilisations pour obtenir sa réinscription sur la liste électorale n’ont-elles pas rassemblé des milliers de sympathisants qui veulent encore croire en ses chances ? « Nous sommes des milliers à avoir voté pour Tidjane Thiam, personne n’avait un fusil sur la tempe ! Ce qui se passe actuellement au PDCI est le fait de ceux qui traînent le parti devant les tribunaux. Les militants doivent le comprendre », estime Jean-Noël Loucou, ancien directeur de cabinet de Bédié et secrétaire général de la Fondation Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. « Il n’y a pas de plan B à la candidature de Tidjane Thiam », rappelle par ailleurs à chacune de ses conférences de presse, le porte-parole du parti, Soumaïla Bredoumy. Il l’assure à Jeune Afrique : « Tous les chefs de partis font face à des critiques, c’est ainsi, c’est le principe de la démocratie interne. Mais ce qui compte vraiment, au fond, ce sont les valeurs et la vision que porte Tidjane Thiam. » Mais ce sont aussi les choix politiques du nouveau patron qui irritent. Chez une partie des militants et membres du parti qui n’a toujours pas digéré la stratégie de boycott de la présidentielle de 2020, l’alliance avec Charles Blé Goudé et Simone Ehivet Gbagbo au sein de la Coalition pour l’alternance pacifique-Côte d’Ivoire(CAP-CI, présidée par Thiam et regroupant une quinzaine de partis d’opposition)ne passe pas.  

Incompréhension et irritation

« Nous n’avons rien à faire avec eux. Félix Houphouët-Boigny, puis Henri Konan Bédié, ont été combattus par eux. Nous sommes des houphouëtistes », estime Lacina Sanogo, le président des transporteurs du PDCI, qui plaide pour un rapprochement avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) d’Alassane Ouattara [le président ivoirien qui n’a pas encore annoncé s’il comptait briguer un nouveau mandat]. « Je n’ai rien contre M. Thiam, je ne demande même pas sa démission, mais je ne suis pas d’accord avec ses orientations », résume-t-il. Dernier sujet d’incompréhension et d’irritation, la présence en France depuis deux mois de Tidjane Thiam. « Le président est en Europe pour faire du lobbying, pour travailler. Tout le monde comprendra ce qu’il y faisait quand il sera de retour», promet Jean-Noël Loucou.

Le président du PDCI, qui affirme attendre des garanties suffisantes sur la validité de ses papiers d’identité avant de regagner Abidjan, était vendredi dernier à Bruxelles pour manifester devant le Parlement européen. Il y a appelé une nouvelle fois à une élection «inclusive, transparente et crédible » et à une nouvelle révision de la liste électorale avant le scrutin. L’unique espoir pour lui de revenir dans la course.

Source Jeune Afrique

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